Séparations difficiles

La séparation est toujours un événement complexe qui peut, dans certains cas, revêtir une dimension particulièrement douloureuse.
Qu’est-ce qui fait que pour certaines personnes, alors même que le quotidien est devenu conflictuel ou insatisfaisant, l’idée même d’une séparation est impossible ou source d’angoisse terrible ? A quoi est-ce lié ?

Quels ont les mécanismes psychiques en oeuvre ?

Pour esquisser une réponse à cette question bien vaste, explorons d’abord les manifestations diverses pour en comprendre ensuite les enjeux et causes.

Les multiples visages de la séparation difficile
La séparation difficile peut prendre différentes formes, qu’elle soit séparation d’un conjoint, d’un enfant, d’un travail, d’un lieu ou même d’un objet. L’élément ou la personne générant la perte et la douleur associée est en l’occurrence parfois moins important que le sentiment et les effets qu’ils produisent, même s’il est parfois difficile d’admettre cette idée. Car se confondent la perte réelle de la personne ou de l’objet, parfois effectivement majeure, et le sentiment que cette perte vient créer
ou réveiller.
On le voit bien dans des cas de deuil portant sur une personne dont on est éloignée depuis longtemps, qui peut ne pas partager son quotidien comme par exemple un parent ou un ami et dont la disparition provoque comme un raz de marée qui anéantit la personne, à sa propre surprise.
La vente d’un bien familial peut parfois aussi illustrer ce phénomène où, au de là de la possibilité non exploitée d’investir ou de profiter d’un lieu plus ou moins apprécié d’ailleurs, une douleur forte est ressentie, en dehors de toute rationalité.
C’est que la perte réelle se double d’autres éléments plus psychiques et émotionnels.
La notion de séparation peut se doubler alors de dimensions comme la peur du vide, de la solitude, voire même peur de l’abandon.
Bien vivre une perte ou une séparation, c’est parfois aussi accepter l’échec d’un rêve, d’une promesse, d’une idéalisation sociale, familiale … Et ceci n’est pas toujours facile ou possible en fonction de l’importance qu’a pris cette idée ou cette représentation dans la vie du sujet. Si tout a été misé sur cette idée, sur cet objet, alors sa perte marque potentiellement l’écroulement de l’édifice dont il constitue la base.
Donnons deux exemples pour éclairer. Dans le cas d’une personne en rupture avec son enfance, sa famille dont elle considère ne pas avoir été assez aimée, comprise ou soutenue, elle va se construire en investissant beaucoup sur son travail ou bien sur le couple ou la famille qu’elle va constituer. Ce nouvel investissement va constituer une voie de réalisation, consolatrice mais surtout étayante et idéalement épanouissante. Si ce couple, ce travail venait à ne plus fonctionner, ne plus apporter les gratifications attendues, ce sont à la fois le quotidien qui échappe, le réel mais également le retour narcissique, la valorisation, la gratification personnelle qu’en recevait le sujet en terme d’estime de lui même. Ce retour constituait une source de valorisation, de validation qui venait combler les manques passés autant qu’il remplissait le présent.
La perte est donc dans ce cas doublée.
C’est parfois ce qui se passe quand les enfants quittent le foyer familial, laissant le ou les parents perdus

Autre exemple, quand le sentiment d’utilité voire d’exister passe par le besoin de soutenir, de sauver l’autre, qu’il soit conjoint, parent, enfant, amis, collègue ou patient.

Les mécanismes psychiques en oeuvre

Il ne s’agit pas là d’aborder toutes les explications possibles, ni de décrire les mécanismes dans le détail car chaque personne et chaque histoire est unique. En revanche, il est possible de donner ici 3 pistes non exhaustives de ce qui peut être travaillé en thérapie pour permettre au patient de mieux comprendre ce qui lui arrive et de reprendre une part de liberté.

Une première prise de conscience intervient lorsque l’on comprend que le sentiment de perte va au delà de la perte réelle, que ce soit en terme d’intensité, de durée. C’est dans ce cas explicable par le fait que la perte va au delà de l’objet réel et qu’il revêt une dimension symbolique unique et particulière pour le sujet.
Une des cause de ce mécanisme peut trouver son origine dans l’histoire du patient, au travers de la façon dont ses mécanismes d’attachement se sont structurés.

En effet, pour une personne dont l’organisation psychique infantile a pu bénéficier de figures d’attachement stables et rassurantes, les liens qu’il va développer par la suite seront largement influencés par ces premiers modèles, comblants et non générateurs de stress, de manque ou d’insécurité. Ces sujets auront un mode d’attachement et donc de détachement plus fluide, moins lié à leurs expériences passées. C’est ce qu’expose très clairement et avec force exemples, le dernier ouvrage de Moussa Nabati, psychanalyste, intitulé « Réussir la séparation ». Il explique notamment que si l’expérience de l’absence et de la rupture se fait mal ou pas, la fusion ou la recherche de fusion demeure.
Au risque de la confusion … des moments, des expériences, des personnes. La perte d’un objet actuel ravivant celle des objets passés.
C’est d’ailleurs ce risque de confusion que l’idéal de fusion dans le couple revêt parfois. Au risque d’une grande déception. En effet, de nombreux couples se forment et espèrent durer sur l’idée qu’il ne font qu’un, que l’un sans l’autre ne peut pas exister, que tout sans l’autre perd en saveur et en
sens.
Au delà d’une période initiale et passagère où cette illusion peut servir de point de départ du couple, il apparaît nécessaire d’avancer vers un modèle renvoyant à une notion de complétude, plus à même de garantir l’épanouissement des deux partenaires en dehors et au sein du couple et
d’éviter de faire reposer des responsabilités démesurées sur le couple comme source d’étayage.

Que ce soit en thérapie individuelle ou en thérapie de couple, ces notions sont particulièrement riches à investiguer pour dépasser un sentiment de perte trop grand ou pour donner davantage de chances à une relation basée sur une relation d’échange et non de comblement d’un manque antérieur.

https://www.mollat.com/livres/2237421/moussa-nabati-reussir-la-separation-pour-tisser-des-liens-adultes