Coronavirus, peur et violence

Dans le précédent article sur le coronavirus et les inégalités, nous avons développé l’idée selon laquelle nous sommes inégalement armés contre les difficultés, de quelque ordre que ce soit et en l’occurence pour faire face à cette crise exceptionnelle et généralisée.
 
Ces inégalités génèrent des ressentis et réactions variées dont je voudrais éclairer ici les risques spécifiques liés au développement du sentiment peur.
La peur est une émotion normale et saine destinée à augmenter notre potentiel de survie en mobilisant nos ressources internes pour faire face à un danger.
Néanmoins, la puissance de cette peur et les conséquences de ce sentiment sont à questionner.
 
Face à un danger, le cerveau humain peut avoir des réactions variables : la fuite peut être une solution, le combat peut en être un autre.
Pour la branche fuite, on peut déployer de multiples ramifications comme le déni, l’évitement, la minimisation, l’effondrement  qui peut avoir ces avantages et l’intérêt d’une temporisation permettant le développement de nouvelles solutions internes ou externes.
 
Je voudrais m’intéresser ici à la branche combat. Elle peut paraître à première vue plus positive et plus porteuse mais tout dépend pourtant de la capacité de maîtrise de pilotage dont chacun dispose dans cette direction car les enchaînement peuvent être rapidement non maîtrisables et potentiellement risqués.
 
En effet, qu’observe-t-on au niveau sociétal et individuel dans cette crise qui est à prendre ici comme élément révélateur des mécanismes psychiques internes ?
Dans les réseaux sociaux, dans les médias, comme au niveau interpersonnel, on voit se développer une tendance à l’agressivité, à la critique, aux soupçons de complots et à la délation même si l’on en croit les statistiques d’appel vers le 17 (police et gendarmerie) .
Cette violence n’est pas que verbale ou virtuelle, elle s’observe aussi au niveau intra familial avec une augmentation des violences conjugales importante.
 
Le ressort est en effet le suivant : face à une peur, la mobilisation, l’énergie se concentre. C’est un mécanisme biologique de production d’adrénaline et de cortisol. Que fait-on de ce trop plein d’énergie quand on est cloîtré chez soi ?
 
On l’extériorise comme on peut … en utilisant les moyens à proximité : discours ou actes.
Mais ce faisant, on provoque en retour des réactions qui n’ont pas toutes pour effet de diminuer la peur.
Au contraire, une réponse agressive réactionnelle peut augmenter le niveau de peur.
Tout comme  la surenchère verbale, que peut provoquer l’évocation de faits anxiogène, provoque l’inverse de ce qui est recherché. La peur est alimentée au lieu d’être apaisée.
 
Alors pourquoi le fait-on ? Et pourquoi observe-t-on même une répétition du mécanisme agressif ?
Parce qu’il provoque des bénéfices : la décharge d’énergie en premier lieu qui est un bénéfice physiologique, toujours prioritaire. Et le sentiment, secondaire, qui correspond au fait de reprendre une forme de maîtrise sur les événements. 
Lorsque l’on critique, que l’on porte un jugement sur le comportement ou l’action de l’autre, on a le sentiment de faire mieux, de penser mieux, on se valorise en dévalorisant l’autre et l’on regagne un peu en estime de soi et en sentiment de pouvoir … Sensation illusoire et furtive mais pourtant bien là, et bénéfique  … l’espace d’un instant seulement.
Car la question réside ici : entre le gain, faible et à court terme et la perte durable et massive d’une augmentation de la sensation de peur généralisée. 
 
Alors pour éviter l’engrenage que provoque la peur quand on emprunte la voie du jugement, de l’agressivité, de la violence qui renvoie en boomerang une insécurité plus grande encore, il faut prendre parfois l’autre chemin … celui de l’évitement ou de la temporisation qui a l’avantage de permettre l’intervention du raisonnement et de la réflexion comme voie médiane.
 
La compréhension de ce mécanisme peut nous permettre de nous placer dans une position de responsabilité et de choix … si je sais ce que cette agressivité produit, est-ce mon intérêt de sur-enchérir, de participer ou d’écouter tout simplement ? Où ai-je plutôt envie de privilégier une autre option ? Celle de couper la radio, les réseaux sociaux, les polémiques, les ruminations intérieures ? 
 
Ce n’est bien sûr pas qu’une question de volonté mais une vision éclairée pour nous aider à mieux naviguer …